Michael Gilman, né à San Francisco en 1943, est un professeur expérimenté dans le domaine de la kinésiologie, qui entreprend l’étude du Taï Chi en 1968 avec le maître Choy Kam Man.
Maître Choy enseignait le programme complet du style Yang traditionnel et autorisa Michael Gilman à enseigner dès 1973. En un peu plus de huit ans, un millier de personnes a pratiqué sous la houlette de ce dernier.
En 1981, Michael déménagea à Port Townsend dans le comté de Washington, et ouvrit un Atelier de Taï Chi où il continue encore de dispenser des cours.
En 1994, il remporta le titre de Grand Champion lors de la prestigieuse compétition « Un parfum de Chine » qui se dispute en Virginie.
En 1995, il eut l’honneur d’être sélectionné pour être juge au Tournoi international de kung-fu de Seattle.
Enfin, il est l’auteur de l’excellent Les 108 Clés du Taï Chi et de 101 Réflexions sur le Taïchi chuan dans lequel il se livre à une véritable méditation sur son art…
« Les arts internes se distinguent par le fait qu’ils placent l’attention à l’intérieur du corps », explique Michael Gilman dans son dernier livre, « ils se préoccupent de la manière dont l’action est effectuée, et non pas uniquement de sa conséquence ».
Ainsi par exemple, si l’on veut se déplacer de A vers B, on ne se soucie pas de B, mais on cherche la bonne manière d’y parvenir et la sensation interne qu’engendre le mouvement.
Pour Michael Gilman, il semble bien qu’il n’existe rien de plus fascinant qu’un corps en mouvement, que la coordination de millions d’événements simultanés qu’il compare à l’installation électrique d’une maison.
Quand on appuie sur l’interrupteur, un petit miracle se produit : la lumière apparaît. Le Chi de l’univers est converti en énergie électrique ; et c’est cette énergie électrique qui passe d’un endroit à l’autre de la maison, pour finalement atteindre un lampadaire fabriqué par quelqu’un connaissant parfaitement les lois de la transformation de l’énergie électrique en lumière.
Or, si nous comparons notre corps à cette maison, pour bouger un doigt, nous devrons passer par les mêmes phases : convertir le Chi de l’univers en Chi humain, l’associer au réseau intégré du corps, et le conduire jusqu’aux muscles du doigt qui transformeront cette électricité en mouvement.
De la même manière que nous n’avons pas à penser notre action lorsque nous pressons l’interrupteur, nous n’avons pas à penser notre mouvement lorsque nous bougeons un doigt.
Mais si la lumière ne fonctionne pas, il faut chercher à en apprendre davantage sur l’électricité. De même, si le corps connaît une défaillance, il faut davantage de connaissances sur l’anatomie et la physiologie.
Bref, si l’on souhaite être plus éclairé ou plus accompli, il faut passer le temps nécessaire à étudier le mécanisme interne de l’individualité.
Et c’est tout le propos des arts internes…
Le plaisir
« Le plaisir pris dans ce que l’on sait faire le mieux peut inciter l’individu à faire encore ce qu’il a si bien réussi. C’est ainsi que s’y prend la nature pour créer de l’excellence ».
Michael Gilman considère sa pratique comme une source de plaisir potentiel qui n’a cessé de l’inciter à vouloir encore plus.
Mais, au-delà de ce bonheur personnel, il pense que le rôle de l’instructeur en arts interne consiste à aider l’élève à en découvrir les aspects qu’il appréhende le plus aisément, et, à partir de là, à lui permettre de poursuive sa pratique sans risquer de se lasser.
Chez certains élèves, cela engagera le physique, et chez d’autres, le mental, le spirituel, ou encore le renforcement de la santé, ou la philosophie.
L’instructeur doit toujours être capable de scruter l’élève en profondeur, afin d’être en mesure de l’aider à trouver ses propres centres d’intérêt.
La nature de l’enchaînement
« L’enchaînement du Taï Chi chuan s’apparente beaucoup à l’architecture d’un grand roman.
« Ce dernier débute plutôt lentement, avec une introduction présentant les personnages et le lieu.
« On éprouve d’abord une impression pesante de lenteur, voire de confusion, dès lors qu’il s’agit de savoir qui est qui, de repérer l’unité de temps et de lieu, et de deviner la direction future du roman.
« Le dévoilement lent et complexe de la nature réelle des personnages et de leurs interactions fait la partie belle au récit proprement dit.
« L’intérêt vient avec la façon dont sont présentés les problèmes et leur résolution.
« La conclusion arrive pour réunir les différents éléments et idées du roman, qui devront donner au lecteur l’impression qu’il a changé depuis qu’il a refermé le livre ».
Et Michael Gilman de nous traduire en termes de Taï Chi chuan ce que sont ces personnages, à savoir les huit principales énergies de base, le Peng étant la plus importante.
Sans Peng, en effet, pas d’histoire possible.
Les personnages interviennent au tout début de l’enchaînement, et sont présentés simplement avec leur enveloppe externe, qui se suffît à elle-même.
Ensuite, au fur et à mesure que l’enchaînement se déroule, ces énergies se complexifient et interagissent avec d’autres par le jeu de variations multiples, contribuant ainsi à rendre l’exécution de l’enchaînement particulièrement intéressante.
Puis elles évoluent à un point tel qu’elles finissent par se fondre entre elles, quand elles ne sont pas franchement masquées, jusqu’au bout de l’enchaînement, où tout revient tel qu’au commencement… simplement et avec grâce.
Une infinie variété de styles
« Quelle merveille étonnante que la variété des styles et des enchaînements du Taï Chi !
« La tendance actuelle à vouloir standardiser l’enchaînement de la forme à des fins compétitives et pour en faciliter l’enseignement est si restrictive que cela m’attriste.
« Cette façon de faire appauvrit la discipline, et présente un produit tout prêt à la consommation de masse.
« C’est exactement comme si l’on voulait se lancer dans un voyage autour du monde, pour finalement y découvrir que tout le monde parle l’anglais !
« La beauté de la vie se révèle, au contraire, dans ses détails et ses variations ».
Michael Gilman ne cesse de s’étonner face aux enchaînements du style Yang.
Comment, à partir d’une même texture de base, se demande-t-il, peuvent s’élaborer d’autres motifs ?
Par quel chemin en sont-ils arrivés là : est-ce la conséquence d’un changement consciemment programmé, ou la volonté du professeur ?
Et d’en conclure que l’étude, dans l’histoire du Taï Chi, ne saurait être exhaustive. Au contraire, son évolution, son raffinement, sont les reflets du lieu et des goûts des gens qui le pratiquent.
Le style Yang, par exemple, présente certaines différences entre les styles du nord et du sud, et celles-ci confirment les nuances de climat et de tempérament observables dans ces régions.
Le nord est plus froid, aussi les gens ont-ils tendance à se mouvoir plus vite que ceux vivant dans le sud, où il fait chaud.
Les gens du sud sont plus détendus et constants dans leur style, moins pressés que les gens du nord.
Une prévention contre l’arthrose
« La plupart des gens ont tendance à mouvoir leurs jambes dans une seule direction, en avant ou en arrière, pour marcher, courir ou s’asseoir.
« L’os travaille en conséquence sur un seul plan, ce qui entraîne la formation d’une cannelure et de minuscules bosses et projections sur le cartilage, qui pourront devenir la source possible de la douleur arthrosique.
« Cela équivaut à creuser des nids de poule sur la route en y circulant toujours au même endroit.
« Une fois que les nids de poule ont été creusés, il est difficile d’en sortir ».
Selon Michael Gilman, la course à pied et les autres sports répétitifs, aux mouvements limités, rendent cette problématique encore plus évidente.
Par contre, pense-t-il, le Taï Chi et les autres arts internes représentent le meilleur type d’exercice possible pour éviter ce genre de problèmes, car ils exercent une pression minimale sur l’articulation de la hanche ; et le mouvement, effectué en douceur, s’exerce alors dans toutes les directions, de sorte qu’aucune cannelure ne vient se former.
Il conseille donc d’utiliser la plus grande variété possible de mouvements, en s’asseyant en tailleur sur le sol autant de fois que possible, et en s’efforçant de ne pas créer trop de « nids de poule ».
Une question d’interprétation
« Je rends visite à une amie ; elle m’invite immédiatement à m’asseoir dans un fauteuil confortable pour l’écouter interpréter une partition qu’elle est censée jouer sur scène le soir même.
« A mesure que j’entre de plus en plus profondément dans l’écoute du morceau, mon esprit, lui aussi, se fait de plus en plus pénétrant : mon amie a joué une partition qui a été composée il y a déjà quelque temps ; elle l’a interprétée selon l’annotation, et cependant, elle y a mêlé toute l’expérience de sa vie, son intellect, ses émotions, sa nostalgie…
« Chaque personne censée interpréter la même partition lui conférera une couleur différente, en fonction de l’individualité qu’il ou elle s’est forgée.
« Comme c’est proche de la sensation du Taï Chi, me suis-je dit ».
Effectivement, les similitudes entre la musique classique et les arts internes semblent nombreuses.
Les enchaînements furent créés il y a longtemps, par des gens vivant dans un monde éloigné du nôtre ; mais en pratiquant ces mêmes enchaînements, nous y apportons notre propre expérience vécue, et notre prestation peut sembler différente de celle d’une autre personne.
La partition musicale contient des indications spécifiques concernant le rythme et le timbre de la mélodie.
Les Classiques du Taï Chi ne font pas autrement. Ils émanent de véritables maîtres de la composition. Ils ont leurs Mozart ou leurs Beethoven, qui se nommaient Yang, Wu, ou Chen.
Une vie heureuse
« En tant qu occidentaux, rien ne nous encourage à envisager sereinement notre avenir.
« Nous nous contentons souvent de vivre au jour le jour, car le lendemain nous apparaît improbable, avec son lot de surpopulation, de pollution, de crime, de diminution des terres arables, etc.
« Chez nous, les gens traitent les choses avec désinvolture, et il en va de même pour leur santé, leur famille ou la vie communautaire ».
En déplorant ce triste état de choses, Michael Gilman rappelle aussi que le Taï Chi chuan est réputé, a contrario, comme l’un des meilleurs types d’exercice pour les personnes âgées désirant se maintenir en bonne santé.
Mais, bien sûr, il faut de nombreuses années de pratique pour arriver à en tirer le maximum de bienfaits sur le plan énergétique.
Aussi conseille-t-il de commencer la pratique bien plus tôt, afin d’en récolter le fruit au moment où l’on en a le plus besoin.
C’est précisément dans sa jeunesse, souligne-t-il, que l’on prépare sa vieillesse.
Toutefois, il n’est jamais trop tard ; et il encourage vivement les gens à apprendre cet art subtil et à ne pas stopper leur pratique parce qu’ils se sentent trop médiocres pour continuer.
Continuer, c’est, en quelque sorte, se garantir une vie heureuse et saine !
Jan Kristiansen