Comme la cuisine chinoise, la cuisine indienne traditionnelle tend à concilier le plaisir gustatif et le bienfait énergétique en associant intelligemment les divers nutriments et en combinant avec art les différentes saveurs.
L’Inde, pays spirituel entre tous, ne pouvait que concevoir une cuisine favorisant l’équilibre entre le corps et l’esprit.
Les vertus médicinales des condiments, le dosage savant des valeurs caloriques, l’absence de matières grasse d’origine animale et même, bien souvent, la tendance nettement végétarienne de cette alimentation, concourent à rendre les savoureux plats indiens particulièrement sains et énergétiques.
Toute la spécificité de la cuisine indienne tient pratiquement dans l’usage presque scientifique des épices et des herbes.
Il est d’ailleurs amusant de constater, à ce propos, que ce que nous appelons « curry », ce mélange stéréotypé destiné à l’exportation, n’est en fait qu’une des infinies possibilités d’assaisonnement de la cuisine indienne.
Le mot tamoul « kari », en réalité, signifie « sauce ».
Or, les innombrables sauces indiennes sont composées de diverses épices que le cuisinier mélange entre elles selon des lois et un savoir-faire millénaires, dans le but d’apporter à chaque plat une saveur bien spécifique et des vertus médicinales qui le rendent plus digeste et plus harmonieux sur le plan énergétique.
Bref : les véritables cuisiniers indiens sont presque des préparateurs en pharmacie… mais qui ne confectionneraient que des remèdes délicieux !
Trois millénaires de pharmacopée indienne ont donc permis de recenser toutes les épices et leurs effets, et ainsi de leur attribuer des emplois bien précis, en cuisine.
La cannelle, par exemple, s’utilise généralement en bâton pour parfumer les viandes et le riz, ou en poudre pour adoucir les chutneys ou enrichir les desserts.
Les feuilles de coriandre s’emploient dans les sauces, les raïtas et les chutneys frais.
Le curcuma accompagne les légumineuses.
La menthe entre dans la composition de nombreuses sauces, notamment servies avec le kebab d’agneau, etc., etc.
Quant aux piments forts, il ne faut pas croire qu’ils sont indispensables.
Les palais occidentaux n’y étant pas habitués, mieux vaut s’en passer purement et simplement.
D’ailleurs, la plus jeune génération de chefs indiens a actuellement tendance à en réduire assez largement l’usage, car ces condiments de feu peuvent, en définitive, masquer les autres saveurs.
Du nord au sud, une cuisine d’une grande variété
L’Inde est un immense pays, et, par conséquent, abrite de très nombreuses diversités culinaires régionales.
Sans entrer dans le détail, disons tout simplement qu’entre le nord et le sud, on assiste à des mœurs alimentaires totalement différentes.
Dans le sud, la coutume a longtemps consisté à disposer le repas, toujours à base de riz, sur une feuille.
Avec ce riz, sont généralement servis des plats végétariens ou des sauces épaisses, et quelquefois des crevettes au lait de coco, des poissons, des currys épicés de mouton ou de poulet…
Au petit déjeuner on a l’habitude de manger des galettes de farine de riz fourrées de pommes de terre épicées, ou des petites nouilles cuites à la vapeur et assaisonnée de chutney…
Dans certaines régions du sud, comme au Kérala ou au Dekkan, on remplace souvent le riz par du tapioca, du mil, du millet ou du sorgho, mais partout on consomme de la noix de coco sous toutes ses formes : lait, chair, huile…
Et, bien sûr, on apprécie beaucoup les fruits : jacquiers, mangues, bananes, ananas, avec lesquels on confectionne toutes sortes de plats épicés…
A tout cela s’ajoutent les préparations à base de yaourt, les raïtas, plus épicés et parfumés qu’au nord.
Les légumineuses, les dhals, sont également très souvent à l’ordinaire dans des plats généralement plus liquides que dans le nord, comme par exemple les soupes.
Enfin, dans le sud on boit avant tout du café au lait (¼ de café très serré pour ¾ de lait et beaucoup de sucre), et assez peu de thé.
Dans le nord, au contraire, on passe sa journée à boire du thé.
Ce thé se prépare avec du C.T.C., une variété locale de thé en poudre, que l’on fait bouillir dans un mélange 50/50 de lait et d’eau, auquel on ajoute du sucre et éventuellement des épices comme la cardamome, le poivre noir, le gingembre et la cannelle.
La base céréalienne de l’alimentation du nord n’est plus le riz mais le blé, que l’on consomme sous forme de chapatis, c’est à dire de galettes de farine complète sans levain, ou sous d’autres formes de pains plus ou moins sophistiqués.
Autre spécificité de la cuisine du nord : l’usage du tandoori, un four traditionnel dans lequel on fait cuire des viandes, poissons et crustacés préalablement marinés.
Plutôt que de l’huile de noix de coco, le nord emploie du beurre clarifié, le ghee, comme matière grasse.
Enfin, plus encore que dans le sud, les régions du nord se distinguent entre elles, et les spécialités sont légions :
→ les plats de feuilles de moutarde à la farine de maïs et au gingembre viennent du Penjab,
→ beaucoup de spécialités de sucreries viennent du Bengale,
→ les mets à base de gibier et de sauces au yaourt sont originaires du Radjastan…
Les religions, elles aussi, différencient les habitudes alimentaires des Indiens :
→ les Jaïns, bien sûr, poussent le végétarisme à l’extrême ;
→ les musulmans du Cachemire ne mangent ni porc ni bœuf ;
→ les parsis sont très attachés au dhansak, une viande d’agneau ou de poulet accompagnée de cinq légumineuses, d’aubergine, de potiron, d’épices et de riz caramélisé…
L’importance du végétarisme
Une grande quantité d’Indiens sont végétariens par nécessité, puisque n’importe quel plat de viande, même le plus modeste, serait infiniment trop cher pour eux.
Cette cruelle réalité mise à part, les Indiens ne sont végétariens qu’en fonction de leur naissance et de leur caste… c’est à dire que la plupart ne le sont pas ou, tout au moins, n’ont pas à l’être.
Cela dit, même parmi les carnivores, manger du bœuf est considéré comme impur, et seul les intouchables dont la profession les met en contact avec les animaux morts peuvent se le permettre.
D’autre part, selon sa naissance, l’Indien respectera certains tabous alimentaires lui interdisant le porc, ou le poisson, ou même encore les racines…
En règle générale, ce sont les castes les plus élevées, en l’occurrence celles de Brahmanes, les prêtres, qui, en se conformant à un comportement non violent, sont végétariennes… mais non végétaliennes puisque les produits laitiers sont considérés comme purs.
Ainsi, le lait, le lait caillé, le yaourt et le beurre clarifié, constituent une des bases les plus importantes de la cuisine indienne, y compris de celle que dégustent les brahmanes.
Enfin, l’Indien traditionnaliste ne peut toucher à sa nourriture que si elle a été préparée par un membre de sa caste ou d’une caste supérieure.
Cela réduit évidemment le nombre des restaurants, dans la mesure où l’on n’y est pas toujours assuré de la caste des cuisiniers.
Mais cela favorise le commerce des gamelles, que l’épouse remplit à la maison et que le mari emporte sur son lieu de travail, seul moyen pour lui de se nourrir… et de rester pur.
Dis-moi ce que tu manges, je te dirais qui tu es
Pour les Indiens la cuisine est un temple, le lieu le plus sacré de toute la maison ; et la nourriture est une énergie vivante, porteuse de signatures subtiles.
Tout ne peut donc pas être mangé, ni préparé n’importe comment.
L’art culinaire est un véritable acte religieux, et le repas semblable à une prière.
Plus que dans n’importe quelle autre contrée du monde, en Inde on est ce que l’on mange… et l’on ne se fait Brahmane qu’en mangeant comme un Brahmane.
Les nourritures réservées à chaque caste semblent en effet appropriées au mode de vie et aux devoirs de ses membres.
En fait, les interdits alimentaires se multiplient au fur et à mesure que l’on monte dans cette hiérarchie sociale, de telle sorte que les plus purs n’ont droit qu’à la nourriture la plus pure et la plus purifiante… alors que les impurs peuvent se permettre toutes les fantaisies.
Derrière ce système de castes, certes critiquable par bien des points bien qu’il reflète la réalité universelle des hiérarchies sociales, se cache en fait une tripartition philosophique de la nature.
Pour les Hindous, sattva, rajas et tamas, les trois qualités à la base de toute substance, se retrouvent bien sûr dans chaque être humain aussi bien que dans chaque aliment.
L’Hindouisme réserve donc globalement :
→ les aliments sattviques, c’est à dire calmants, aux prêtres ;
→ les aliments rajasiques, excitants, aux guerriers ;
→ les aliments tamasiques, plus lourds et structurants, aux ouvriers.
Certains verront peut-être dans de telles classifications une version antique du « Meilleur des mondes », mais elles ne sont peut-être que des tentatives d’institutionnaliser des tendances tout simplement humaines et observables dans n’importe quel cadre social.
Vous aussi vous serez sans doute aperçu qu’une nourriture plus saine, plus légère, voire plus végétarienne, tout en assurant votre santé, vous portait plus volontiers à la sérénité qu’à l’hystérie.
Les Indiens l’avaient compris il y a plus de 3000 ans !
Jean-Baptiste Loin
Pour soutenir Réponses Bio et nous permettre de rester un media indépendant, RDV sur notre page Tipeee en cliquant sur ce lien.