Méprisée par certains, la sieste est pourtant un des meilleurs moyens de prévention des troubles psycho-nerveux.
Et, comme on remède on a fait pire puisque, après tout, c’est tout de même là une activité des plus agréables, surtout en été !
L’heure de la sieste est chose sacrée, encore de nos jours et malgré la folie galopante dans laquelle la civilisation technologique a englouti jusqu’au dernier recoin tranquille du globe.
Oui, l’heure de la sieste est encore chose sacrée dans quelques ethnies privilégiées et même aussi chez nous, dans certaines provinces réputées pour leur art de vivre et leur dolce farniente.
Bien sûr, ces pays et ces provinces sont ceux du Sud, de la chaleur, quelquefois tropicale.
Eh oui, pechère, et que faire d’autre, à l’heure de l’étouffante canicule, que de dormir, de récupérer en attendant que ça rafraîchisse un peu ?
Les conditions climatiques ont, ici, dicté à l’homme la voie de la sagesse !
Mais il semblerait qu’en dehors de ces conditions, nous préférerions tous bourdonner dans notre ruche plutôt que de perdre un temps précieux à piquer un petit roupillon.
Or, la sieste, le repos, la récupération ne font perdre de temps qu’à ceux qui veulent se suicider plus vite.
Il est erroné de croire que l’on en fait plus lorsqu’on est fatigué, voire exténué.
En réalité, les grands travailleurs sont toujours ceux qui savent s’économiser.
Prenons l’exemple de Winston Churchill. Le bonhomme travaillait jusqu’à des vingt heures par jour… et sa formule, désormais célèbre, pourrait servir d’exemple à tous les surmenés : «Lorsque je peux être assis, je ne reste pas debout, et lorsque je peux être couché, je ne reste pas assis ».
Grands hommes et petites siestes
« Notre humour populaire aime à railler la sieste et ceux qui la pratiquent.
« On continuera, longtemps sans doute, à sourire de la prétendue paresse des latins qui observent, depuis la plus haute antiquité, cette pause des débuts d’après-midi où la chaleur rend toute activité pénible.
« Pourtant, comme il est maladroit de confondre sommeil et paresse !
« La sieste facilite grandement la vie de ceux qui la pratiquent régulièrement, soit qu’elle les repose, tout simplement, soit encore, je peux en témoigner, qu’elle leur octroie, pour travailler, les extraordinaires créneaux d’efficacité intellectuelle de la nuit ».
Qui était l’auteur de cette tirade ? Jacques Chirac !
Mais les hommes politiques n’ont certes pas le monopole en la matière, et d’autres ont su élever le débat au-dessus de considérations telles que l’efficacité ou la gestion du stress.
Chamfort, par exemple, écrivait, non sans humour, que « vivre est une maladie dont le sommeil nous soulage ».
Les Goncourt, pour leur part, voyaient dans la sieste « un curieux sommeil, où, au milieu de l’évanouissement de l’être, il y a une perception poétique de ce qui se passe autour de ce sommeil ».
De nombreux écrivains trouvèrent d’ailleurs dans la sieste matière à faciliter leurs activités créatrices, soit, comme ce fut le cas pour André Gide, en rétablissant leurs performances littéraires mises à mal par l’insomnie nocturne, soit en enrichissant les échanges avec leur lectorat, ainsi que le confessait Charles Bukowski qui partageait volontiers quelques siestes avec des admiratrices de passage.
Beaucoup de peintres, également, manifestèrent dans leurs œuvres cette fascination qu’ils avouaient par ailleurs éprouver pour la sieste.
De Giorgione à Titien, ou, plus près de nous, Courbet qui peignit « Le hamac », « Les dormeuses » et « Le sommeil », ou encore Van Gogh qui baptisa l’un de ses plus célèbres tableau « La sieste », tous se plurent à témoigner d’une activité que le monde rural de leur époque considérait comme primordiale, et qui contribuait pleinement au rythme naturel de la journée.
Enfin, certains représentants du monde scientifique – et non des moindres – puisèrent dans la sieste une inspiration qui se révéla géniale.
Parmi les inventions les plus connues, citons le filament incandescent dont Edison rêva lors d’une sieste, le stylo à bille de Reynolds, l’atome de Bohr, les lois de l’hérédité de Mendel, le tourne-disque, la pénicilline…
Le sommeil, nuit… et jour !
En dehors des grands hommes, les grands singes, qui restent nos plus proches cousins du règne animal, et qui développent, tout de même, une autre puissance physique que la nôtre, osent, eux aussi, se payer le luxe d’une bonne sieste d’après-midi, en plus d’une nuit complète du coucher au lever du soleil, douce nuit exclusivement réservée au sommeil.
Le sommeil, facteur essentiel pour conserver ou retrouver la santé et l’équilibre, est en fait une activité méconnue.
Et, contrairement à ce qu’on a l’habitude de croire, c’est une activité intense, puisque le cerveau travaille autant pendant ces périodes dites de repos qu’à l’état de veille, qu’il a une activité électrique tout aussi importante, et consomme la même quantité d’oxygène.
Les couches superficielles de la conscience, bien sûr, tournent au ralenti, mais les plus profondes entrent en action pour régénérer le psychisme et l’organisme.
Mais, qu’il s’agisse de repos ou d’activité, le sommeil est un mécanisme qui a ses règles.
Il suit notamment un rythme spécifique qu’il est important de connaître et de pouvoir reconnaître, tout d’abord le soir au coucher, mais également au cours de la journée.
Ce n’est qu’à cette condition qu’on pourra profiter des instants propices à une récupération rapide des forces physiques et intellectuelles.
Ce n’est qu’à cette condition qu’on tirera un réel bénéfice de la sieste qui, loin de nous faire perdre du temps, nous rendra plus efficaces.
La bonne durée pour une sieste
Le cerveau, pendant la veille, émet des ondes à grandes fréquences, dites ondes Bêta.
A la simple fermeture des paupières, survient la fréquence Alpha, correspondant à un état de veille passive, ou, si l’on préfère, de relaxation.
Le problème, c’est que cet état Alpha, s’il est momentanément provoqué par la fermeture des paupières, ne peut être maintenu par ce seul artifice.
Il faut user, pour parvenir à une relaxation durable, d’autres techniques.
A la phase Alpha succède une phase de pré-sommeil, pendant laquelle le cerveau passe au rythme Thêta, encore plus lent.
En moyenne, la plongée en Alpha puis en Thêta dure une vingtaine de minutes.
C’est donc là le temps minimum que l’on doit consacrer à une sieste.
Après la phase Thêta – si aucun réveil, ou plutôt de remontée en Bêta, n’est provoqué – commence le sommeil proprement dit, avec le rythme Delta très lent.
Cette dernière phase dure, à elle seule, une bonne heure.
Puis, le dormeur remonte jusqu’au stade précédent, c’est à dire au sommeil léger, ou phase Thêta ; et enfin, il entre dans la phase dite paradoxale.
Le corps est alors profondément endormi, pendant que le cerveau est prodigieusement actif.
C’est la phase pendant laquelle se manifestent les rêves.
A l’issue de ce processus complexe du sommeil, deux heures en tout se sont écoulées.
C’est le temps que dure un cycle ; et c’est, par conséquent, la durée maximale d’une sieste.
Les bonnes heures pour une bonne sieste
Il ne s’agit pas de dormir le plus longtemps possible, mais bien seulement de respecter scrupuleusement les cycles et phases du sommeil.
Rompre un cycle, commettre l’erreur de se réveiller en son milieu provoque de la fatigue.
Mieux vaut ne pas faire de sieste que de dormir une heure.
Il faut toujours dormir deux heures, voire quatre pour les gourmands ; sinon, se reposer vingt minutes !
Mais ce n’est pas tout. Car, s’imposer, ou imposer à ses enfants, des horaires de sieste programmés à l’avance, et risquer ainsi de rompre en son milieu une phase d’activité, est tout aussi antinaturel que de se réveiller en plein sommeil.
Il conviendra donc, en la matière, d’exercer sa sensibilité et d’éviter d’aller se coucher en dehors des phase adéquates.
Quelles sont-elles donc, ces phases adéquates ?
Et comment les reconnaître ?
Comme nous l’avons vu, un cycle de sommeil dure deux heures.
C’est dire, par conséquent, que, même à l’état de veille active, toutes les deux heures un nouveau cycle peut commencer.
Toutes les deux heures, donc, une bouffée d’ondes Alpha survient, qui nous invite, très naturellement, par le truchement de ce que l’on appelle «un coup de pompe», à une petite pause.
D’autre part, des rythmes d’alternance de l’activité des deux hémisphères cérébraux déterminent des phénomènes analogues.
En effet, toutes les quatre vingt dix minutes, le cerveau droit est en pleine forme, alors que le gauche est au minimum de son activité.
Une heure et demi plus tard, c’est l’inverse qui se produit.
Ces inversions cycliques de rendement énergétique provoquent, tout aussi naturellement que les démarrages des cycles de sommeil, autant de moments de flottement, autant de ralentissement du rythme cérébral global… puisque le rendement d’un hémisphère décroît, alors que celui de l’autre commence à peine à remonter.
Mais, que l’on se rassure : en pratique, c’est beaucoup plus simple !
Il suffira d’être attentif à ces coups de pompe, à ces moments de flottement, et, au lieu de vous précipiter sur une tasse de café noir… renforcez plutôt votre bouffée d’Alpha à l’aide d’un moment de repos !
Ce que l’organisme tend à nous signifier, par ces coups de pompe, n’est rien d’autre que le besoin de descendre en soi-même.
En d’autres termes, il faut ralentir le rythme des couches superficielles de la conscience, et laisser les couches plus profondes travailler à la régénération des forces psychophysiques.
En provocant cette descente en soi-même et cette décélération du rythme, on obtiendra des résultats similaires à ceux procurés par le sommeil… mais en beaucoup moins de temps.
Du hamac au fauteuil
Ainsi, toute période de repos, même très courte, dans la mesure où elle s’insère intelligemment dans une décélération naturelle du rythme cérébral, et où elle l’amplifie, vous sera extraordinairement bénéfique.
Reste à voir, à présent, par quels stratagèmes on peut amplifier cette décélération du rythme cérébral ?
Etudions les différences options…
Tout d’abord, si l’on ne peut s’offrir la sieste de deux heures, ni la somnolence de vingt minutes, une toute petite sieste de cinq à dix minutes peut aussi donner d’excellents résultats, à condition, toutefois, de la répéter deux ou trois fois au cours de la journée.
On usera alors de quelques techniques simples, empruntées à la relaxologie, en se concentrant par exemple sur le relâchement musculaire progressif du corps, en partant des pieds pour remonter jusqu’à la tête…
Ce genre de siestes rapides trouvent notamment leur emploi au bureau, dans le métro, en salle d’attente, dans le train ou l’avion, ou même au volant (véhicule arrêté, bien sûr !).
Bref, c’est adapté à de telles situations puisqu’on peut pratiquer ces siestes assis.
Il suffira alors de rester sans bouger, les membres décroisés, les mains posées à plat sur les cuisses, le dos bien droit, la tête légèrement penchée en avant, et les yeux fermés.
Mise en œuvre chaque fois que possible, au cours de la journée, cette sieste, pour réduite qu’elle soit, n’en rend pas moins des services insoupçonnés :
→ effacement de la fatigue,
→ baisse de la tension nerveuse,
→ aide à la concentration,
→ retour à la joie de vivre en cas de déprime…
Il n’en demeure pas moins que la pratique d’une sieste plus longue reste la meilleure formule.
Ne serait-ce que parce que l’on profitera de la position allongée, plutôt qu’assise.
Où donc, faire cette vraie sieste ?
Préférentiellement là où l’on dort la nuit, c’est à dire dans sa chambre et dans son lit.
Cela dit, il n’est pas interdit, en été, de trouver un endroit paisible, à l’extérieur, où, à l’ombre, on installera un bon matelas, de la paille, ou, pour les plus jeunes, un hamac ou un matelas gonflable dérivant sur l’eau calme d’une piscine.
Quoi qu’il en soit, on se couchera de préférence étendu sur le dos, bras et jambes reposant lourdement sur le matelas, les yeux fermés, si possible dans la pénombre et en tout cas toujours dans le silence, et, si nécessaire, chaudement couvert.
Reste à savoir quand se livrer à ce repos diurne.
On l’a dit, quand on en ressent le besoin. Mais, plus précisément, jamais trop près des repas, c’est à dire au moins une heure après.
Enfin, il ne sera pas inutile de prévoir une petite douche fraîchette et/ou quelques rafraîchissements liquides pour effacer l’effet de bouche pâteuse que ressentent au réveil même les meilleurs adeptes de la sieste.
Viviane de Saint-Urbain