Raw food, instincto, régime Seignalet…
Retrouver la santé en retournant au mode d’alimentation crudivore de nos très lointains ancêtres les primates semble être un credo en vogue parmi de nombreux nutritionnistes depuis pas mal de temps… et encore plus intensément ces dernières années.
Mais quel chemin emprunter pour un tel retour aux sources ?
Si l’on veut réellement parler d’une alimentation naturelle, il ne peut évidemment être question d’autre chose que de crudivorisme.
En effet, les animaux, les grands singes et les ancêtres de l’homme mangeaient exclusivement cru.
Ce n’est que depuis la préhistoire, il y a trente ou soixante-dix mille ans selon les auteurs, que nous avons pris l’habitude d’opérer diverses transformations sur les aliments naturels :
✵ cuisson,
✵ broyage,
✵ extraction,
✵ pressage,
✵ mélange,
✵ assaisonnement…
Puis, dans un second temps :
✵ congélation,
✵ surgélation,
✵ irradiation,
✵ adjuvants,
✵ engrais,
✵ pesticides…
Et, à tout ça, vient évidemment s’ajouter l’absorption, quelquefois massive, de médicaments.
Le problème, c’est que toutes ces opérations, non contentes d’être en rupture totale avec la nature, s’avèrent, dans la plupart des cas, nocives à la santé.
Bien sûr, la nocivité des médicaments chimiques et des pesticides n’est plus à démontrer, mais qu’en est-il de la simple cuisson des aliments, pourra se demander l’adepte d’une diététique classique ?
La réponse des crudivoristes est sans appel :
L’organisme n’est pas génétiquement accoutumé aux aliments cuits ou dénaturés dont l’introduction dans notre mode nutritionnel est trop récente pour que le code génétique ait eu le temps de s’y adapter.
En conséquence, les aliments cuits ou dénaturés imposent à l’organisme de métaboliser des molécules vis-à-vis desquelles les enzymes programmées par le code génétique ne sont nullement adaptées.
Un tel type d’alimentation engendre ainsi un métabolisme parallèle plus ou moins pervers et responsable de l’intoxination culinaire généralisée que nous connaissons tous.
Et en fin de course, l’intoxination en question donne lieu à une pathologie moléculaire à la source de nombreuses maladies et d’un vieillissement prématuré.
Une foule d’interrogations justifiées
Ce constat, d’ailleurs plus ou moins scientifiquement corroboré, n’est évidemment pas faux, mais sa mise en application pose tout de même un nombre incalculable de problèmes.
Nos ancêtres, certes, mangeaient cru, mais ils ne vivaient absolument pas comme nous.
Le climat de l’Afrique où ils habitaient était nettement plus chaud, les produits alimentaires étaient totalement sauvages, leurs activités physiques étaient constantes et quelquefois intenses, leur osmose avec la nature était parfaite…
Bref, rien à voir avec le Parisien d’aujourd’hui qui, de plus, a été conditionné à un certain type d’alimentation.
Conditionné… c’est à dire qu’il porte, sinon dans son code génétique mais tout au moins dans son psychisme individuel et collectif, l’empreinte identitaire et symbolique du croissant trempé dans un café crème bien chaud, du steak frites et de l’éclair au chocolat.
Il ne lui reste donc plus qu’à essayer de se déconditionner !
Mais c’est dur, très dur !
Les difficultés rencontrées par la plupart des adeptes de la diététique classique sont d’ailleurs tellement lourdes qu’elles ont suscité la création de produits de remplacement, comme le café de céréales, la bière sans alcool ou le lait de soja, etc.
Comment exiger d’eux, qu’après tant d’efforts, qu’ils expulsent aussi de leur mémoire le réconfort d’une bonne soupe au choux bien chaude au cœur de l’hiver, ou le plaisir du pain bio trempé dans l’huile d’olive ?…
Sans compter que l’on peut se demander si la consommation quotidienne d’ananas tropicaux ne dépeuplerait pas des pays comme la Finlande plus sûrement qu’une arme bactériologique ?
Ce sont toutes ces interrogations – et bien d’autres – qui, réflexion aidant, ont amené l’homo sapiens actuel à revoir et corriger le mode d’alimentation naturel de son ancêtre préhistorique, et à créer diverses écoles de crudivorisme.
Les pionniers
Le régime crudivore idéal qui consistait à manger n’importe quel aliment trouvé dans la nature sans jamais le cuire n’est donc pas l’objectif des crudivoristes modernes.
La plupart d’entre eux bannissent la viande et sont végétariens, voire végétaliens.
D’autre part, tous n’adoptent pas un crudivorisme intégral.
Le régime Nolfi, par exemple, admet le riz cuit, les pommes de terre et les produits laitiers.
Le Dr. Bircher-Benner, pionnier indiscuté de ce genre de régimes, considérait pour sa part qu’un crudivorisme à 50% convenait parfaitement… à condition de faire quelques cures de détoxication 100% cru au cours de l’année.
Ce médecin suisse du début du siècle dernier découvrit les bienfaits thérapeutiques de l’aliment cru, et en fit profiter sa famille avant d’appliquer les premiers préceptes du crudivorisme naissant à ses malades.
Il ouvrit même une clinique spécialisée, en 1903 ; clinique qui fonctionne encore aujourd’hui.
A sa suite, le Dr. Schnitzer, dentiste allemand versé dans l’étude de la carie, fonde un second courant crudivoriste, plus radical que celui du Dr. Bircher-Benner puisque prônant une alimentation crue à 100%.
Peu connu en France, ce régime est cependant suivi, de nos jours, par de nombreux Allemands.
C’est le Dr. Schnitzer qui, le premier, mit l’accent sur les origines frugivores de l’homme.
D’après ses études comparatives des systèmes digestifs et de la dentition des différentes espèces, il semblerait, en effet, que l’homme n’appartienne absolument pas à la classe des carnivores ni à celle des omnivores.
Ainsi, il est incontestablement établi, aujourd’hui, que nos amis humains appartiennent bel et bien à la classe des mangeurs de graines et de fruits, tout comme leur gentil cousin, le singe.
Les crudivorismes classiques
De nos jours, le crudivoriste classique mange à peu près tout cru, mais en intégrant bien souvent différentes sortes d’aliments, plus ou moins controversés, tels que les produits laitiers.
S’il rejette la cuisson, il admet les autres systèmes de transformation et ne se prive pas d’agrémenter ses plats de crudités à l’aide de sauces, de macérations, de mélanges, de trempages et d’assaisonnements avec de l’huile, du sel ou des plantes aromatiques…
Est-ce moins naturel ? Peut-être pas puisque, après tout, beaucoup d’animaux ne consomment pas tous leurs aliments tels quels.
C’est là une réalité de la vie animale plus ou moins ignorée ; mais il est un fait que les animaux font quelquefois subir à leur aliments des préparations comme la germination, le stockage, le séchage ou l’écrasement.
Cela dit, un fromage reste indéniablement le produit d’une transformation savante à laquelle aucun animal ne saurait prétendre.
Aussi les crudivoristes les plus radicaux considèrent-ils ce mode classique de crudivorisme, incluant les laitages, en tant que premier pas vers le retour à la santé naturelle… mais certainement pas en tant que crudivorisme véritable.
Le crudivorisme dogmatique
Diverses autres écoles, moins classiques, se partagent encore le paysage crudivoriste moderne.
Tout d’abord, les granivores.
Comme leur nom l’indique, ils se nourrissent de graines germées ; encore que, la plupart du temps accompagnées de quelques crudités, voire d’un régime cru varié.
Parmi eux, les adeptes de l’alimentation vivante, autrement dit de l’école d’Ann Wigmore, consomment des graines germées et des aliments fermentés.
Les fruitariens, quant à eux, sont beaucoup plus rigoureux et ne mangent effectivement que des fruits, mais toutefois au sens botanique du terme, c’est-à-dire en incluant bien sûr les oléagineux, mais aussi les tomates, poivrons, cucurbitacées, etc.
Certains autres crudivoristes, dénommés Esséniens pour la circonstance, se réfèrent au fameux « Evangile de la Paix », et adoptent une alimentation crue composée de fruits, légumes, graines germées, jeunes pousses et produits laitiers fermentés.
Enfin, les liquidariens se nourrissent exclusivement de jus de fruits ou de légumes.
Toutes ces écoles, on s’en doute, relèvent plus de l’idéologie que de la médecine.
Fort heureusement tous les crudivorismes ne sont pas dans ce cas !
Les crudivorismes médicaux
C’est le cas, par exemple, des régimes du docteur Fradin et du docteur Seignalet.
Le régime hypotoxique du docteur Fradin, tout d’abord, résout un important inconvénient souvent reproché au crudivorisme : l’absence de chaleur des aliments.
En effet, quant il fait froid, manger chaud réconforte et demande moins d’effort à l’organisme pour maintenir sa température à 37°.
Le docteur Fradin conseille donc de réchauffer quelques aliments, sans véritablement les cuire.
A chacun de ces aliments correspond une température, qu’il faut connaître, en deçà de laquelle aucune modification biochimique néfaste ne se produit.
En réchauffant ainsi un nombre plus ou moins important d’aliments, le patient peut progressivement s’adapter au crudivorisme sans pour autant subir les inconvénients du refroidissement ou d’un trop brutal dépaysement.
Le régime du Docteur Seignalet, de son coté, est admirable au plan des résultats thérapeutiques.
Basé sur le régime hypotoxique de Fradin, il le précise plus encore, l’enrichit d’une complémentation en huiles, vitamine et oligo-éléments, mais surtout le marie avec un suivi personnalisé du malade en milieu hospitalier, qui lui permet d’éliminer les aliments non tolérés.
D’étonnantes régressions de maladies auto-immunes réputées incurables ont ainsi été obtenues.
Les crudivorismes instinctifs
Alors que les crudivorismes classiques établissaient leurs régimes sur la base d’un dogme ou sur des analyses scientifiques, les crudivorismes instinctifs font confiance à l’instinct de chacun pour établir ce qui doit être mangé et ce qui ne doit pas l’être.
La plus célèbre de ces méthodes, l’instinctothérapie du physicien suisse Guy-Claude Burger, insiste beaucoup sur les fruits mais admet toutes les autres formes de nourritures, y compris la viande.
Le tout est que l’aliment, quel qu’il soit, reste 100% cru et non transformé.
En effet, selon les instinctos tout artifice culinaire n’a qu’un seul but : rendre acceptable au palais ce qui est inacceptable pour le corps.
Pour les adeptes de l’instinctothérapie, ni la nourriture industrielle, ni la cuisine classique, ni même les régimes ne sont normaux.
Aucune préparation, aucune forme de cuisine, d’assaisonnement et, d’une manière plus générale, aucun à priori conceptuel ne doivent intervenir dans la nutrition qui reste et doit rester un phénomène purement physique, biologique.
Seul l’instinct est capable de gérer valablement l’alimentation humaine, comme c’est le cas pour l’animal.
Ainsi, chez les instinctos, seul l’instinct est normal.
Il s’agit donc de choisir, en utilisant l’odorat et le goût, le ou les aliments crus qui vont le mieux répondre aux besoins organiques du moment.
De ce point de vue, l’instinctothérapie se présente comme un anti-régime, et cela, à plus d’un titre.
Tout d’abord, parce qu’elle se veut non conceptuelle, non théorique, mais également parce qu’elle joue avec le plaisir, moteur et organisateur du comportement alimentaire.
Selon Burger, le plaisir non frelaté que procure l’aliment non dénaturé est la conséquence de la parfaite conformité de cet aliment naturel avec notre programmation génétique.
Le corps connaît ses besoins réels, et ne peut éprouver de plus grand plaisir que lorsque ces besoins sont satisfaits.
L’olfaction, pour commencer, puis le goût indiquent, grâce au plaisir, l’adéquation d’un aliment à ce que l’organisme réclame.
Inversement, dès qu’une sensation désagréable intervient dans la perception de l’aliment, cela signifie que le corps n’en veut pas.
Les carences comblées s’expriment donc par le plaisir, et les surcharges par le déplaisir.
Il suffit de comprendre cette loi toute naturelle pour ne plus éprouver le besoin de recourir à des systèmes diététiques compliqués… et ne plus risquer aucune erreur de diagnostic.
La capacité d’être attentif aux signaux sensoriels susmentionnés n’est plus désormais qu’une question de rééducation de l’odorat et du goût qui sont tous deux l’expression directe de l’instinct alimentaire.
L’odorat préside à l’attraction et à la sélection des aliments, et le goût à la stimulation et à la limitation quantitative.
Seule ombre au tableau : l’instinct n’étant pas forcément suffisant pour retrouver l’instinct, ce retour aux aliments originels passe par des règles relativement complexes.
La rééducation nécessite d’ailleurs de nombreuses heures de cours et une surveillance assez étroite… qui pourrait bien s’apparenter à une forme d’endoctrinement sectaire.
Mais tout ceci ne va-t-il pas de soi dès lors qu’on adopte une position par trop radicale ?
Cet écueil semble toutefois avoir été évité dans l’alimentation instinctive raisonnée de Dominique Guyaux.
Celle-ci a été établie sur les bases de l’instinctothérapie mais en tenant compte de certains critères psychologiques.
Le premier de ces critères est tout simplement le plaisir du grignotage.
Cette habitude, jugée déplorable par l’ensemble des diététiciens actuels, remonte pourtant à des millions d’années puisque nos ancêtres, humains et singes, ne faisaient pas moins de six repas par jour.
Dans la nature, le mammifère non carnivore ne s’arrête évidemment pas à midi pour passer à table ; il mange autant de fois qu’il rencontre de la nourriture… mais un seul type de nourriture à la fois !
On voit des bananes, on mange des bananes ; puis, trois heures plus tard, on se régale du cœur d’un petit palmier.
Pas une seule fois, au long de sept millions d’années, on n’a habitué l’organisme à digérer un empilage d’aliments divers.
Par contre, ce à quoi on l’a habitué, c’est à s’offrir cinq ou six fois par jour le plaisir d’un grignotage.
Inutile de dire que ce grignotage naturel était bien différent de celui du boulimique moderne.
C’était un grignotage sain !
Or, selon Dominique Guyaux, la privation de ce grignotage là entraîne de nombreuses frustrations que l’on va tenter de compenser par des repas trop riches et du grignotage malsain.
Un autre critère de cette alimentation instinctive raisonnée concerne l’accessibilité des différents types d’aliments.
Dans la nature, un primate trouvera :
✵ des racines partout et toujours,
✵ des fruits selon la saison,
✵ de la viande beaucoup plus rarement.
Selon Dominique Guyaux, il convient donc de classifier les divers types d’aliments en fonction de leur fréquence de consommation :
✵ les légumes de façon permanente,
✵ les fruits en respectant l’alternance saisonnière,
✵ la viande très rarement…
Enfin, Dominique Guyaux semble être un sage puisqu’il admet que les difficultés psychologiques inhérentes à notre culture et à notre éducation nous éloignent, elles aussi, de la santé.
Conséquemment, une bonne psychothérapie ou une méthode de développement personnel complèteront intelligemment, selon lui, un régime alimentaire.
Ainsi peut-être cela évitera-t-il au régime de devenir obsessionnel et malsain.
Ou peut-être même, dans certains autres cas, cela permettra-t-il tout simplement de rendre une saine réforme diététique possible.
Jean-Baptiste Loin