Sans doute parce qu’elle s’inscrit parmi ces psychothérapies souveraines évitant les pièges de la verbalisation, l’art-thérapie, par le biais de la peinture, a toujours brillé par son efficacité.
Des civilisations antiques ont su conserver un espace commun à l’art et à la thérapie, espace où la médecine était un art, et l’art le plus sûr moyen de prendre conscience des processus pathologiques dans lesquels l’individu s’enferme si souvent.
La peinture utilisée comme art-thérapie, évitant soigneusement l’utilisation de la parole, n’est pas un défouloir pour malades mentaux et encore moins une rééducation psychomotrice.
C’est avant tout un art de vie, une méthode offrant de poser un nouveau regard sur le monde et d’y apporter par touches successives les changements positifs redonnant vie et couleurs à l’ensemble du tableau.
Un travail sur l’harmonie des lignes et des formes réveillant progressivement une sensation d’apaisement, un sentiment d’unité où chaque nuance teintera un reflet de la conscience.
Le peintre-thérapeute, s’avérant tour à tour patient et médecin, se projette à travers les images perçues vers un processus de transformation, source de nombreux enrichissements sensoriels.
Le temps de la création il s’identifie à ses émotions les plus secrètes, réparant ce qui a été brisé, séparé, retrouvant l’équilibre nécessaire à son unité.
Depuis sa naissance, autour des années cinquante, l’art-thérapie a pris différents noms :
→ psychothérapie créative,
→ psychothérapie par l’expression plastique,
→ thérapie par l’art, qui donnera plus tard art-thérapie,
→ ou encore psychothérapie médiatisée.
Mais quels que soient ses noms ou redéfinitions, un de ses buts fondamentaux a toujours été tourné vers un enrichissement sensoriel et émotionnel, une gestion des états de chaos et de séparations… une ouverture à soi.
Etre peintre-thérapeute c’est, comme le dit si bien Jean-Luc Sudres, « se créer soi-même, se mettre en forme et en œuvre, se projeter dans un processus de transformation de soi dans une culture et une société données ».
Les pratiquants des ateliers de peinture-thérapie ne sont certes pas des « artistes » au sens conventionnel, mais doivent tout de même être doués d’un minimum de créativité, que la peinture réveillera et mettra en mouvement.
Pas plus que les art-thérapeutes ne sont des Picasso, les malades ne deviennent pas nécessairement des peintres à l’issue de leur cure, et à défaut de talent, la seule chose qu’il leur soit demandée est de trouver du plaisir à peindre et d’éprouver ce bien-être venu des profondeurs.
Peindre pour se réconcilier avec soi
Avec le succès de la chromothérapie, quantité d’études permettent aujourd’hui de cartographier l’effet des couleurs sur le psychisme.
En peinture-thérapie, on utilise intuitivement les couleurs étant en phase avec ce que nous ressentons, traduisant des émotions à l’état pur avant même que les mots ne viennent.
Quant aux traits et aux formes, s’ils expriment également des émotions, c’est par le truchement de la gestuelle.
Tracer élégamment une courbe ne traduit évidemment pas la même émotion que de dessiner nerveusement des lignes zigzagantes et brisées.
La colère et l’amour ne susciteront ni les mêmes intentions, ni les mêmes lignes.
Or, en traçant des lignes et en posant des couleurs sur la toile, on exprime naturellement des émotions et en retour, on reçoit bien évidement l’influence de sa production artistique.
Un véritable dialogue s’instaurant progressivement entre le peintre et sa toile permettra le dépassement de ses résistances et blocages tout en débouchant, si l’on poursuit l’investigation, sur des prises de conscience permettant de découvrir une nouvelle manière de voir et de ressentir.
Peu à peu chacun affirmera sa capacité à exprimer ce qu’il ressent et développera à travers le plaisir de la création, une confiance et une estime de soi inconnues jusqu’alors.
En contemplant ses œuvres on prendra l’habitude d’observer ses émotions avec distance, les distinguant clairement et objectivement de ce que l’on pensait être soi.
Devenant extérieure, une colère exprimée sur la toile ne présentera plus ce caractère menaçant directement notre intégrité.
Au contraire, elle prouvera qu’elle peut quitter le sujet pour être représentée dans un objet.
Cette « magie » de l’instant, essentielle à la guérison, donne des pistes toutes tracées pour un développement personnel plus approfondi.
Elle permet d’identifier sur une toile ou une page blanche le problème, la peur ou le blocage que l’on peut contempler comme un objet où la moindre couleur, l’intensité de l’appui du pinceau ou du fusain, la rigueur des formes, mettront en pleine lumière les zones les plus sombres de la psyché humaine.
Se recomposant harmonieusement dans une signification rassurante, réunissant problème et aspiration.
C’est d’ailleurs là tout le pouvoir de la peinture, aspirer à une réconciliation profonde avec soi qui propulsera peut-être la conscience vers une dimension où les angoisses et les peurs se trouveront sublimées par cette union sacrée.
Différentes tendances
Les thérapies attachées à l’expression par la peinture sont variées et proposent différents angles d’approche.
Nous avons vu des émotions secrètes transposées sur la toile des sensations, pouvant être traduites par la psychanalyse, la psychologie transpersonnelle, l’approche comportementale ou la chromothérapie.
Et le grand travail de l’art thérapie a justement été d’unifier ces méthodes d’analyses.
On peut, par exemple, distinguer :
→ l’art-thérapie structurée, pour ce qui est des méthodes reposant sur la psychologie comportementale, la gestal, les pratiques collectives.
→ l’art-thérapie associative, quand les techniques font appel à l’une ou l’autre des psychanalyses, freudienne, junguienne ou lacanienne.
→ et l’art-thérapie interactionnelle, consistant en un mélange des deux genres précédents.
Cette dernière, marquant tout particulièrement la tendance actuelle, offre sans doute une vision plus globale que les deux autres.
Cela étant dit, à l’intérieur de chacune de ces approches la peinture-thérapie s’articule sur plusieurs bases :
→ l’expression, c’est à dire l’expulsion de ses démons intérieurs,
→ la catharsis, ou la purification des passions,
→ le transfert, ou la projection des sentiments établis durant l’enfance dans le travail artistique comme dans le futur de l’individu,
→ et enfin, la sublimation, où le développement des potentialités rencontre une exaltation artistique et émotionnelle.
Ainsi, la peinture-thérapie rencontre autant de succès pour le réveil du potentiel personnel que l’expansion de la conscience dans les sphères relationnelles, la rencontre authentique de l’autre marquant un trait d’union avec soi.
Lors d’une thérapie, les techniques de travail pictural peuvent bien entendu varier :
→ peindre d’après une carte postale,
→ recopier un tableau classique, de mémoire ou directement d’après un modèle,
→ associer sa gestuelle picturale à de la musique,
→ revisiter certains types de peinture sacrée comme les icônes ou les mandalas,
→ plus révélateur encore, essayer de reproduire ses rêves,
→ ou même s’adonner de temps à autres à de la peinture automatique les yeux bandés, afin de se focaliser sur les dimensions inconscientes.
Ces techniques faisant appel à la créativité pourront faire remonter à la surface ce qui n’a jamais été dit, ce qui a été refoulé sans jamais avoir été nommé.
La couleur des problèmes
De plus en plus souvent associée à certaines professions éducatives ou sociales, mais aussi au milieu hospitalier où elle aide surtout les malades présentant des troubles d’origine nerveuse ou psychologique, la peinture-thérapie est fréquemment conseillée comme complément à une psychanalyse ou, inversement, comme voie psychothérapeutique de secours pour tous ceux éprouvant des difficultés avec la parole ou le dialogue.
Les cures, pouvant durer plusieurs années, sont adaptées à tout le monde :
→ les enfants et adolescents en échec scolaire,
→ les personnes âgées,
→ les adultes, seuls ou en couples,
→ directement en famille,
→ et en groupes ou groupes de familles.
Une thérapeutique qui conviendra tout particulièrement aux personnes :
→ déprimées,
→ malades,
→ accidentées,
→ en deuil, en instance de divorce, au chômage,
→ surmenées intellectuellement, sexuellement ou professionnellement,
→ ou tout simplement aux personnes désireuses de s’exprimer et de partager.
S’exprimer permet de libérer ce qui a été retenu jusqu’à être cristallisé en douleur, les problèmes se dessinant les uns après les autres sont alors dédramatisés, transformés en jeux de couleurs et d’énergies.
De manière plus générale, les troubles du comportement, les difficultés d’adaptation, les problèmes psychologiques liés aux handicaps sensoriels et physiques, pourront être mis en lumière par la peinture-thérapie.
Dans des cas extrêmes comme la psychose, la peinture-thérapie pourra canaliser l’activité mentale, structurer l’espace intérieur et donner du sens aux sensations ainsi qu’aux émotions.
Mais c’est là une application essentiellement psychiatrique de l’art-thérapie.
En somme, nous pouvons tous nous armer de pinceaux pour régler le moindre problème de stress et éprouver ce sentiment de plénitude, de bien-être nous rappelant à nous-même.
Quel est le profil « classique » d’un peintre-thérapeute ?
Bien qu’il y en ait de toutes sortes, on trouve souvent deux extrêmes proposant ce service :
→ d’une part les artistes « au chômage », pour qui cette amplification thérapeutique permet de recycler les sources de revenus,
→ et d’autre part certains psy tout à fait compétents dans leur domaine mais s’étant souvent montrés « incapables » d’accéder à l’essence de l’art par une trop grande psychorigidité des concepts.
Ainsi on se trouve en présence de deux dérives :
→ d’un côté, les artistes pas trop psy laissent la peinture révéler chez leurs patients ce qu’elle veut bien révéler,
→ et de l’autre, les psy possédant tout juste une technique artistique insistant lourdement sur l’analyse.
Dans tous les cas, il s’agira pour les uns comme pour les autres, de bien prendre conscience qu’il est alors question d’un atelier d’entraide aux vertus thérapeutiques partagées… avec le thérapeute.
Il n’en demeure pas moins que la majorité des professionnels de cette discipline ont fort heureusement attendu d’équilibrer ces deux aspects, avant de proposer officiellement leurs services.
Il est alors généralement question d’authentiques artistes que la psychothérapie a séduits, et qui, après de sérieuses études et quelques années de pratiques, en ont fait leur métier.
D’autres encore, refusant catégoriquement tout possibilité d’amalgame entre la peinture et la thérapie, préfèrent choisir une autre bannière tout en proposant un service plus ou moins équivalent.
Quoi qu’il en soit, la plupart du temps les peintres-thérapeutes ne sont pas vraiment des artistes ni des créateurs, mais des médiateurs ouverts aux autres ayant suivi une formation psychothérapeutique et maîtrisant amplement les techniques de peinture.
L’art-thérapie, la plus ancienne « médecine de l’âme »
« Sans doute avant toute autre Tradition, c’est avec le Chamanisme que l’art-thérapie semble le plus volontiers renouer. »
Le Chamane, dit France Schott-Billman, « était un art-thérapeute par définition, un artiste total qui dansait, chantait, contait, mimait, et savait quelle forme employer pour permettre à son patient d’endosser le pathogène. »
Mais l’art, alors, avait d’autres fonctions, d’autres raisons d’être, et en un mot, un tout autre sens.
En quatre siècles, la culture occidentale est passée de l’âge classique à l’âge moderne, en transitant notamment par le baroque et le romantisme.
Evolution qui à chaque étape bouleverserait complètement la définition du concept d’art et le statut de l’artiste, à tel point qu’aujourd’hui les arts n’ont plus grand chose à voir avec ceux qui, dans l’antiquité et pour les traditions tribales, s’harmonisaient parfaitement avec la thérapie.
Pour aller plus loin :
Fédération Française des Art-thérapeutes
Institut National d’Expression, de Création, d’Art et Transformation
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